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« Pour assurer la perpétuation des êtres, les rapprochements sexuels devaient s’accompagner d’une grande volupté ; c’était aussi le moyen le plus certain de développer ou de fortifier les organes chargés de collaborer à cet acte, c’est-à-dire non seulement les organes génitaux, mais les caractères sexuels secondaires »

Docteur Pagès 

« En 1890, avant l’adoption générale de la bicyclette par les femmes, le nombre de naissances à Paris, a été de 60 037. Pour l’année 1894, en pleine fièvre cycliste, il s’est élevé à 63 011, soit une augmentation de 3000 enfants par an, près de 10 par jour… . Nous pouvons montrer que ce qui était vrai à Paris en 1890 l’est encore actuellement dans toute la France puisque, en 1896, on voit d’après le rapport ministériel sur le recensement, que c’est bel et bien dans les départements où le sport est le plus à l’honneur que l’accroissement de la population se fait le plus sentir ». 

Docteur Ludovic O’Followell

« La femme qui recherche cette masturbation “bi-crurale” […], aurait bien évidemment bien d’autres moyens à sa disposition et nous croyons que l’exercice à bicyclette, bien loin d’entretenir ces manières vicieuses, les fera disparaître en améliorant l’état névropathique dont elles relèvent. On ne leur connaît pas de traitement plus efficace que l’exercice physique et la distraction » 

A.Rocheblave 

« Il est des cas où cette sorte de masturbation sportive les excite à tel point qu’elles augmentent progressivement leur vitesse, filent souvent avec une grande rapidité dans les descentes, sans apercevoir les obstacles placés sur leur chemin […] un de nos amis nous raconta qu’il était arrivé à être jaloux de la bicyclette, sa maîtresse le délaissait chaque jour pour courir à son sport favori…. » 

George Demenÿ

« En somme, la bicyclette ne me paraît inoffensive que pour les femmes régulièrement et peu abondement réglées et dont les organes sont indemnes et bien suspendus. Elle peut, je crois, amener des accidents sérieux chez les femmes de catégories inverses. »  

Docteur Stapfer

Les débats médicaux en France

En France, de nombreux articles médicaux autour de l’activité cycliste de la femme sont publiés dans des revues sportives ou médicales,  notamment entre 1895 et 1897. Ils témoignent des études et des débats au sein de la communauté médicale, en faveur ou à l’encontre de la pratique féminine du vélo. La polémique est d’une telle ampleur que l’Académie de Médecine consacra par exemple en 1894 des journées d’assemblées pour échanger sur ce sujet. Ces débats s’inscrivent en France dans un climat de peur face aux transformations de la société qui augurent pour certains la décadence du pays. La récente défaite de la France contre la Prusse en 1871 et la domination anglaise sur le continent confirment déjà pour certains cette idée alarmante. Avec l’essor de l’hygiénisme, les physiologistes et médecins s’emploient à étudier la biomécanique, la physiologie de l’effort et la médecine clinique. Plus précisément, les savants examinent l’impact physiologique, neurologique et psychologique du cyclisme sur la population et notamment sur les femmes. En effet, le sport et les femmes sont devenues des instruments de défense nationale. L’éducation physique permet d’obtenir des français forts et endurants contre l’envahisseur. Vouées selon les discours naturalistes à leurs fonctions procréatrices  (« La femme est un utérus avec des organes autour » Docteur M.Peter), les femmes, elles, assurent au pays la régénération de « la race » française bien-portante. On cherche à cette époque  à augmenter le nombre de naissance dans une France qui se vieillit. Les chiffres démontrent qu’entre 1885 et 1895, alors que la population de l’Allemagne croît de 8 millions, celle de la France n’augmente à peine que d’un quart de million.   

Globalement, les premiers discours font part de leurs inquiétudes à propos des risques de santé auxquels la femme s’expose par sa pratique du vélo.  Le Docteur Philippe Tissié, médecin  du Véloce –Club Bordelais démontre par exemple dans L’hygiène du vélocipédiste, (1888 p. 106-107) que la cycliste qu’il surnomme « la grande blessée », risque « ulcérations, hémorragies… maladies et inflammations ». 

Philippe Tissié

I.

Ces inquiétudes sont d’autant plus fréquentes lorsqu’on débat sur le port du corset à vélo.  

Le Docteur O’Followel a produit une thèse et tient la chronique « Causerie Médicale » dans la partie consacrée aux « questions féminines » de la revue La bicyclette. Il se positionne dans ces textes contre le port du corset qu’il analyse comme un habit porté par les femmes bien plus par habitude que par nécessité.

« En s’opposant à la libre expansion de la cavité thoracique, et en empêchant l’air de pénétrer largement dans les poumons, il prive les bicyclistes femmes de grands avantages de cet exercice, de l’oxygénation à haute dose de leur sang. Sans compter qu’il leur ôte toute souplesse, amène par cela même chez elles la fatigue beaucoup plus promptement et leur rend l’ascension des côtes très pénible en provoquant l’essoufflement beaucoup plus rapidement »  

Docteur Fanquez 

II.

« S’il est dangereux pour celles qui cultivent l’art du chant, combien plus néfaste encore sera son usage pour les femmes qui montent à bicyclette c'est-à-dire qui pratiquent un exercice où le nombre et la valeur des mouvements sont notablement augmentés ». 

Docteur Ludovic O’Followell
La bicyclette et les organes génitaux.
1990 p165

III.

Certains débats se cristallisent autour des répercussions de la pratique du vélocipède sur les organes génitaux féminins. On considère en effet que l’action de pédaler sur un bec de selle incliné amène les femmes à se masturber. Or, cette pratique de l’onanisme est non seulement jugée sale et méprisable mais est aussi estimée dangereuse pour les capacités procréatrices de la femme et pour ses mœurs. La masturbation procure selon les médecins du XIXe siècle des maladies affaiblissant les fonctions reproductrices et entraîne l’émancipation sexuelle. Par conséquent, la pratique vélocipédique amène la femme à se dévergonder  en se livrant au plaisir sexuel  et par conséquent l’éloigne de son rôle matrimonial et familial, de son innocence, de sa vertu et de sa pudeur.

«  Pour les femmes, le vélocipède sera toujours un appareil peu recommandable, une machine à stérilité ». 

Dr. Tissot, Pigoreau
Monographie imprimée.  
Dr. Tissot, Pigoreau, Paris 1817. 
 Thèse du docteur en médecine Tissot sur les dommages que causent la masturbation sur les organes génitaux. D’une célèbre réputation, le Dr Tissot cautionne dans son étude une brochure nommée Omania, publiée au grand public en 1723, interpellant sur les dangers de la masturbation.
Première édition de Mécanisme et éducation des mouvements, George Demenÿ, 1903.  George Demenÿ se positionne dans cet article contre la bicyclette. Gymnaste, il deviendra un précurseur de l’Education physique scientifique. 

« La cyclomanie en dehors de ses périls ordinaires, comporte pour les femmes les mêmes inconvénients que la machine à coudre [qui développe nymphomanie et hystérie caractérisée]. Elle amène les mêmes effervescences, les mêmes surexcitations lubriques, les mêmes accès de folies sensuelles. » 

Gustave Martin
La bicyclette considérée au point de vie hygiénique, Thèse soutenue le 8 janvier 1897 par Gustave Martin à la faculté de médecine et de pharmacie de Bordeaux. Le Docteur Martin dans sa thèse étudie les effets de la bicyclette en général sur le corps humain notamment à travers les muscles, la respiration et  la nutrition. 

Dans La bicyclette et les organes génitaux, (1900, p. 70-72), le Docteur O’Followell répond scientifiquement à une critique « d’un journal non médical » publiée en 1894 par des comparaisons et des explications très techniquement poussées. Il explique que les pathologies observées tiennent de la volonté féminine et ne sont pas causées par la machine.   

« Ces faits ne sont pas rares, mais hâtons-nous de le dire, ils appartiennent presque tous à cette classe de femmes désœuvrés qui dépensent le temps de la manière la plus joyeuse et la plus futile et dont la recherche d’émotions et de plaisirs est la principale occupation,  cependant nous les avons aussi rencontré chez les femmes honnêtes (…)Il ne faut pas accuser la bicyclette, mais la bicycliste. »

Docteur O’Followell 

“Je connais une fort honnête dame qui ne peut traverser la place du Carrousel, si mal pavée, dans l’omnibus Batignolles-Clichy-Odéon, sans éprouver l’orgasme vénérien. S’ensuit-il que l’on doive interdire à toutes les femmes l’omnibus et la voiture munie de pneumatiques ? Et si par hasard, une promenade à bicyclette révélée à une cycliste novice procure une satisfaction génitale, il ne faut pas conclure que la bicyclette crée des dépravées” » 

M. Verchère 
M. Verchère ne dit-il pas lui aussi 

« À bicyclette, le travail des membres inférieurs est décrit comme suit par le Dr Verchère dans la France médicale. Les mouvements indépendants des cuisses physiologiquement n’amènent aucun frottement du côté de la vulve et la femme pourra exécuter le mouvement de flexion et d’extension de la cuisse aussi rapidement qu’elle voudra sans que les deux grandes lèvres subissent le moindre frottement réciproque. […] S’il y a masturbation, c’est qu’il y a manœuvre de la femme »

Docteur O’Followell 

Malgré tout, la cycliste a une réputation de femme légère. Le plaisir qu’elle entretient à bicyclette participe selon l’opinion à son émancipation sexuelle et ainsi à son dévergondage. Celui-ci se développerait et se manifesterait notamment par la façon dont la femme se vêtit à vélo (en pantalon) et par la liberté qu’elle acquiert lors de ses sorties dans lesquelles elle échappe à la surveillance et au contrôle parental. On comprend alors pourquoi les autorités religieuses se mêlent parfois au débat. Jusqu’en 1914, les recteurs de Bretagne par exemple ont condamnées aux tourments de l’enfer pour leurs péchés, les femmes pratiquant le vélo. 

(Source : C. Cadiou, Les grandes heures du cyclisme Breton, Rennes, Ouest-France, 1981)

IV.

« Cet engin n’a été adopté par les jeunes femmes modernes que pour l’agrément de revêtir le costume écourté qui leur permet de montrer… beaucoup de choses. La culotte les a tentées bien plus que la roue légère et rapide. »

Mme Georges de Peyrebrune 
Mme Georges de Peyrebrune (1841-1917). Femme de Lettres conservatrice acceptant avec difficulté l’évolution de la société. Se prononce contre la culotte de cycliste pour les femmes dans le périodique Le Combat Périgourdin du 15 septembre 1895.  
-  Source : C. De Loris, La femme à bicyclette : Ce qu’elles en pensent, Paris, Ancienne Maison Quantin Librairies- Imprimeries Réunies 1896
Série de cartes postales « La Leçon de Bicyclette » produites en 1906-1907, 14x09.
Elles illustrent et confirment les peurs de la société française de la fin du XIXème siècle sur la perversion de l’usage de la bicyclette par les jeunes gens qui peuvent ainsi s’éloigner de la surveillance de leurs parents. 

V.

Or, certains soutiennent que la fatigue causée par la pratique vélocipédique calme au contraire les ardeurs féminines et dissuade les femmes de l’onanisme en les concentrant sur l’effort. Ainsi, la pratique vélocipédique n’aurait aucune répercussion sur la natalité.

A.Rocheblave «  Du cyclisme. Hygiène et pathologie » Thèse présentée et soutenue publiquement à la faculté de médecine de Montpellier en 1895.
 
La pratique de la bicyclette pour ce médecin est un remède aux pathologies comme l’onanisme que  les femmes portent instinctivement en elles. 
La bicyclette et les organes génitaux. 1990 p165.
Le docteur O’Followell soutient que le cyclisme n’a aucune répercussion sur la fécondité.
Dans ces propos, il le démontre de manière scientifique en s’appuyant sur les chiffres du Bulletin de statistique municipale de la Ville de Paris.
C.-C Pagès, L’Hygiène des sédentaires, Paris, Librairie universelle 1905.
 
Le Docteur Pagès prescrit la pratique sportive aux jeunes gens pour exercer les organes génitaux devenant alors plus fécond. 

Par ailleurs, on affirme que la bicyclette délivre la femme de son désir pour les hommes en émancipant son imagination. Progressivement, cette dernière s’éloignerait de son mari et deviendrait par sa pratique sportive non seulement stérile mais aussi virile. La cycliste ne correspond pas aux caractéristiques maternelles d’une femme douce et fragile que l’on lui assigne.

VI.

Cependant de nombreux médecins soutiennent que la pratique vélocipédique peut rapprocher les femmes et les hommes et les encouragerait à rêver d’une vie familiale. 

VII.

« La bicyclette est, en effet, un instrument précieux d’instruction, et l’on ne saurait trop conseiller aux familles de suivre, autant que faire se peut, l’exemple de certains pères, et même de certaines mères, qui profitant des congés de leurs enfants, partent à bicyclette avec eux et visitent les localités et les campagnes qui offrent quelque intérêt historique ou artistique. »

Docteur. R. Martin
Docteur. R. Martin, « Les avantages du sport vélocipédique », dans L’Echo Sportif , le 7 janvier 1905 (Nancy). 

« Si donc avec les nouvelles machines, la femme peut se livrer à l’exercice du vélocipède, elle sera néanmoins considérée comme un objet d’art délicat et précieux que le moindre choc peut briser, auprès duquel devra toujours veiller un gardien prudent et attentionné. En somme, le tandem est l’image de la vie conjugale » 

Docteur Philippe Tissié
Le Docteur Philippe Tissié, L’hygiène du vélocipédiste, O. Doin éditeur, Paris 1888.
Le Docteur Philippe Tissié voit dans le tandem l’image de la vie conjugale. 

VIII.

On note que les médecins lamarckiens se positionnent plutôt en faveur de la vélocipédie.

« Plus que l’homme, la femme a besoin d’un corps vigoureux et sain pour avoir le cerveau solide et résistant, et transmettre le tout à sa descendance. La femme fait la vigueur et l’avenir d’une race. Quand la femme devient débile, la race s’étiole. »

Gustave Martin 
La bicyclette considérée au point de vie hygiénique, Thèse soutenue le 8 janvier 1897 par Gustave Martin à la faculté de médecine et de pharmacie de Bordeaux. Par cet argument, le Docteur Martin se positionne pour la pratique sportive qui permet de transmettre à l’enfant le corps résistant de sa mère (théorie lamarckienne). 

« La bicyclette c’est l’avènement de la femme aux exercices du corps ; et la pratique des exercices du corps pour la femme, c’est pour l’avenir la régénération de la part de la nation appelée fatalement à dégénéré, malgré les ressources de l’éducation, par l’usage du repos et du bien-être. » 

Léon Chailley
La bicyclette, Paris, Léon Chailley, 1894

De même, certains médecins rassure la société en comparant l’effort physique fournit à bicyclette avec celui du travail des femmes des classes laborieuses.

IX.

« Vous voyez par exemple, les moissonneuses ? Est-il travail plus pénible que le leur ? Par une chaleur torride, elles restent 12h à 15h courbées sur la terre, elles portent de lourdent chargent et c’est au soir des plus rudes journées que les enfants pleurent sur les femmes des champs avec une abondance qui doit nous rassurer sur la fécondité de la plus enragée cycliste »  

Docteur Léon Petit
Docteur Léon Petit, Mort subite en vélocipède, septembre 1985. Pour le Docteur Léon Petit, la femme doit pour sa santé cultiver l’effort puisque selon lui, les femmes des classes laborieuses qui sont contraintes au travail sont bien plus endurantes et résistantes que les femmes aisées qui n’ont pas à travailler.
Leur fatigue physique ne les empêche pas d’être mères de nombreux enfants. C’est ainsi que lors de l’assemblée générale du Touring Club de France le 12 décembre 1895, il affirme  « Il ne suffit pas d’éculer toute la vie le même pot au feu au coin du même foyer pour avoir beaucoup d’enfants ».

« N’est-ce pas le remède à l’anémie et aux âmes couleurs qu’engendre seul le défaut d’exercice ? Une robe courte pour monter ? La belle affaire ! » 

Docteur Bellencontre
médecin inspecteur de la Société protectrice de l’enfance de Paris

Certains médecins préconisent donc la bicyclette dans la mesure où la pratique physique est exercée de façon raisonnable et judicieuse. Cela ne les empêche pas de donner quelques recommandations.

X.

« Parmi les exercices physiques, le cyclisme est peut être un des plus utiles et des plus hygiéniques à la condition toutefois d’en user avec modération et de ne pas céder à l’emballement, au désir de vitesse ». 

Docteur Pagès 
C.-C Pagès, L’Hygiène des sédentaires, Paris, Librairie universelle 1905. Le Docteur Pagès soutient la pratique vélocipédique dans une certaine mesure contre le risque de surmenage. 
Dans sa thèse, La bicyclette et les organes génitaux (1990) le Docteur Ludovic O’Followell recommande de porter le corset très bas. Il interdit aux femmes de monter à bicyclette pendant leurs règles et pendant toute la durée de leur grossesse. Il conseille une selle différente de l’homme. Enfin, il préconise aux femmes un examen médical général et gynécologique. 
Le Docteur Monin, vice-président de la Société d’Hygiène de France suggère pour éviter les « dispositions névropathiques », que la femme ne monte pas plus de deux heures par jour à vélo. 
 Dans son Guide du vélocipédiste par l’entraînement, la course et le tourisme… (2e édition de l’hygiène du vélocipédiste. Application médicale du vélocipède. Vélocipédie féminine, vélocipédie militaire, Paris, Octave Doin), publié en 1893, le Docteur Tissié interdit le vélo aux femmes enceintes ou à celles possédant des organes reproducteurs mal congestionnés. 

Après l’expérience des deux guerres mondiales et déjà en 1918, les débats disparaissent. La participation active de la femme sur  le

« second front » parfois même à bicyclette, et l’aboutissement progressif de son statut égalitaire à celui de l’homme éloignent les débats sexistes qui n’ont plus lieux d’être.

Ce récit prisé par l’Académie française en 2000 est celui de Jeanne Bohec, résistante sous le nom de « Râteau », chimiste spécialisée dans la production d’explosif. Pour ne pas attirer l’attention, elle sillonne les routes de l’Ouest à bicyclette à  la rencontre de ses élèves qu’elle forme au plastiquage des voies ferrées utilisées par les Allemands en vue du débarquement. Cette bretonne exilée et formée à Londres à l’annonce de l’occupation allemande sera l’unique femme instructeur de sabotage de la Résistance.

La Plastiqueuse à Bicyclette, Jeanne Bohec, Editions Sextant, première publication au Mercure de France en 1975.
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