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-Ah ! la culotte, la culotte ! continuait-elle en plaisantant. Dire qu’il y a des femmes qui s’entêtent à garder leur jupe pour monter à bicyclette !

Et, comme il déclarait qu’elle était très bien dans son costume, sans intention galante d’ailleurs, uniquement désireux de constater le fait :

-Oh ! moi, je ne compte pas… Je ne suis pas belle, je me porte bien, voilà tout… Mais comprenez-vous ça ? des femmes qui ont une occasion unique de se mettre à leur aise, de voler comme l’oiseau, les jambes enfin dégagées de leur prison, et qui refusent ! Si elles croient être plus belles avec des jupes écourtées d’écolières, elles se trompent ! Et quant à la pudeur, il me semble qu’on doit montrer plus aisément ses mollets que ses épaules.

Elle eut un geste de passion gamine.

-Et puis, est-ce qu’on pense à tout ça lorsqu’on roule ?... Il n’y a que la culotte, la jupe est hérétique.

 

 

Pierre était venu se mettre près d’elle, tous deux filaient côte à côte, du même vol régulier, par la voie large et droite, entre le double rideau majestueux des grands arbres. Et ils causaient très amicalement.

 

-Me voici d’aplomb maintenant, vous verrez que votre élève finira par vous faire honneur.

 

-Je n’en doute pas. Vous vous tenez très bien, vous allez me lâcher dans quelques temps, car une

femme ne vaut jamais un homme, à ce jeu là… Mais quelle bonne éducation tout de même que la bicyclette pour une femme !

 

-Comment cela ?

 

-Oh ! j’ai là-dessus mes idées… Si, un jour, j’ai une fille, je la mettrai dès dix ans sur une bicyclette pour lui apprendre à se conduire dans la vie.

 

-Une éducation par l’expérience.

 

-Eh ! sans doute… Voyer ces grandes filles que les mères élèvent dans leurs jupons. On leur fait peur de tout, on leur défend toute initiative, on n’exerce ni leur jugement ni leur volonté, de sorte qu’elles ne savent pas même traverser une rue, paralysées par l’idée des obstacles… Mettez-en une toute jeune sur une bicyclette, et lâchez-la-moi sur les routes : il faudra bien qu’elle ouvre les yeux, pour voir et éviter le caillou, pour tourner à propos, et dans le bon sens, quand un couple se présentera. Une voiture arrive au galop, un danger quelconque se déclare, et tout de suite il faut qu’elle se décide, qu’elle donne un coup de guidon d’une main ferme et sage, si elle ne veut pas y laisser un membre… En somme, n’y-a-t-il pas là un continuel apprentissage de la volonté, une admirable leçon de conduite et de défense ?

 

Il s’était mis à rire.

 

-Vous vous porterez toutes trop bien.

 

-Oh se porter, ce la va de soi, on doit d’abord se porter le mieux possible, pour être bon et heureux… Mais j’entends que celle qui éviteront les cailloux, qui tourneront à propos sur les routes, sauront aussi, dans la vie sociale et sentimentale, franchir les difficultés, prendre le meilleur parti, d’une intelligence ouverte, honnête et solide… Toute l’éducation est là, savoir et vouloir.

 

-Alors, l’émancipation de la femme par la bicyclette.

 

-Mon Dieu ! pourquoi pas ?... Cela semble drôle, et pourtant voyer quel chemin parcouru déjà : la culotte qui délivre les jambes, les sorties en commun qui mêlent et égalisent les sexes, la femme et les enfants qui suivent le mari partout, les camarades comme nous deux qui peuvent s’en aller à travers champs, à travers bois, sans qu’on s’en étonne. Et là est surtout l’heureuse conquête, les bains d’air et de clarté qu’on va prendre en pleine nature, ce retour à notre mère commune, la terre, et cette force, et cette gaieté neuves, qu’on se remet à puiser en elle !... Regardez, regardez ! 

Ecrit en pleine période de polémique sur l’activité vélocipédique des femmes, ce roman contribue à l’idée que la bicyclette participe à la décadence de la société française par le vent de liberté qu’elle insuffle aux couples mariés. Perverties par l’usage de la culotte, les deux personnages féminins de Maurice Leblanc s’émancipent progressivement au cours de leur tour de Normandie à bicyclette. Sexuellement libérées, elles finissent leur voyage seins nus et libertines. En effet, elles vont jusqu’à s’échanger leurs maris qui les accompagnent tout au long de ce périple de découverte sensuelle. 

Des livres et des revues en France

Couverture du bimensuel français « Le vélocipède illustré » 36 x 23. Premier numéro du 1er avril 1869 (à gauche). Numéro du 16 avril 1870 (à droite). Paris.

Source : 
Bibliothèque nationale de France 
Numéro : ISSN 2139-7104 = Le Vélocipède 
http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32887200x

 

Le Velocipède illustré était un bimensuel français très apprécié des cyclistes. Il a été édité par Richard Lesclide dit « Le Grand Jacques », un des premiers journalistes sportif et par sa femme Juana Richard Lesclide qui a été rédactrice en chef sous le pseudonyme de « Jean de Champeaux ». A la mort de son époux en 1892, Juana Richard Lesclide a pris la direction du Vélocipède illustré avant qu’il ne disparaisse des kiosques vers 1901. Ce périodique présentait 4 pages de grand format consacré à la vélocipédie sous tous ses aspects (circulation, voyages, courses et innovations) ainsi que quelques rubriques sur des spectacles et des articles scientifiques d’actualité. Il est très intéressant de noter que ce bimensuel très en vogue à cette époque comportait des illustrations de femmes cyclistes. 

Roman Voici des ailes ! – Maurice Leblanc, Paris, Paul Ollendorff Editeur, 1898.
 

Moulée dans un costume en homespun noisette dont la culotte courte froncée sous les genoux et le corsage cintré soulignaient des formes généreuses, une cycliste vira quai Malaquais et freina à la hauteur du numéro 18 de la rue des Saints-Pères. Elle allait sauter à bas de son vélocipède lorsqu’elle avisa une rangée de visages collés à la vitrine de la librairie Elzévir. Il y eut un moment de confusion, puis la cycliste fut entraînée à l’intérieur de la boutique. 
-Ce n’est pas raisonnable, Fräulein Becker ! s’exclama Victor. Vous vous rendez compte ! 
-Seriez-vous subitement devenu pareil à tous ces mâles misogynes, monsieur Legris ? La bicyclette est la libération de la femme, elle lui sert de prétexte légitime pour échapper à la tutelle de la famille. Cela implique qu’elle a l’opportunité de modifier son habillement, c’est pourquoi ces messieurs ne la voient pas d’un bon œil enfourcher un deux-roues car elle porte la culotte. Voulez-vous laisser mon vélo ! 
-Il ne s’agit pas de cela, mademoiselle Becker, rétorqua Victor qui lui enleva fermement son engin et l’emporta dans l’arrière-boutique.  

La série romancière des aventures de Victor Legris a pour toile de fond le Paris populaire de la Belle-Époque de 1893. Conséquemment, les auteures sous le pseudonymes « Claude Izner » ont imprégné leur intrigue des mentalités de l’époque et notamment des débats sur l’activité vélocipédique des femmes.

Le célèbre romancier Emile Zola est contemporain de l’époque à laquelle la bicyclette fait son apparition en Europe et plus particulièrement, en France et en Italie. Dans son cycle romanesque, Les Trois Villes, son personnage principale, l’abbé Pierre Froment évolue dans des sociétés caractéristiques des cités où ses voyages le conduisent : Lourdes, Rome et Paris. Dans Paris, on retrouve de nombreuses références de l’auteur à l’engouement de la population française pour la bicyclette. Il fait par exemple de l’un de ses personnages l’entrepreneur d’une usine florissante de bicyclette (usine Grandidier). De même, il fait de l’une de ses protagonistes principaux, Marie Courturier une défenseuse de la pratique vélocipédique qui apporte selon elle, savoir-vivre et santé. 

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